Me souvenir est mon honneur

Un de mes intérêts particuliers, qui est la base de la rédaction de mon premier roman, reste cette passion que j’ai pour l’histoire militaire. Depuis aussi longtemps que je me souvienne, j’ai toujours lu avec une grande ferveur les récits en rapport aux batailles et aux guerriers de toutes les époques. Avec les années cet intérêt me mena aux quatre coins de la planète pour visiter les tombes des plus valeureux soldats et des différents champs de bataille d’où je ramenais toujours une poignée de terre, les considérants en quelque sorte comme des endroits sanctifiés. Cet intérêt ne mena aussi à approfondir mes connaissances de l’histoire militaire du Québec et de ce fait j’ai pu me rendre compte à quel point elle était négligée. Cet état de fait se voyait lier à un problème socioculturel particulier à notre province tributaire entre autres du traumatisme de la conquête et de la domination britannique qui suivit. Ainsi pendant longtemps, l’histoire militaire canadienne se voyait écrite presque exclusivement en anglais, et le récit des soldats francophones  a été en grande partie occulté, du fait entre autres qu’ils étaient considérés avec mépris et condescendance  puisque selon une vision particulière, ils s’étaient enrôlés pour aller combattre servilement pour l’Empire britannique. Cette vision, j’étais loin de la partager et un moment déterminant qui accru mon intérêt déjà présent fut lors d’une conférence dans un de mes cours universitaires ou l’auteur et historien, Sébastien Vincent, est venu nous parler de son  livre Laissés dans l’ombre oui il donnait la parole aux vétérans de la Deuxième Guerre mondiale. Ce dernier mit aussi l’emphase sur le fait que bon nombre d’entre eux arrivaient aux termes de leurs existences sans jamais parler de leur expérience de guerre étant donné l’indifférence généralisée ce qui demeurait une grande perte tant au niveau historique qu’au niveau humain.

     Sensibilisé par cette rencontre, j’ai eu l’idée d’entreprendre la collecte de témoignage de vétéran et ainsi faire ma part pour intégrer leur histoire dans la mémoire collective. Ainsi grâce au contact de ma copine d’alors avec un membre de la Légion de Beloeil, l’organisme canadien des anciens combattants, j’ai pu avoir une rencontre avec mon premier vétéran. Ce dernier, un homme d’exception, à la mesure des autres rencontrés, se nommait Paul Lafrenière et avait été un des rares francophones à devenir pilote de bombardier pendant la guerre. Il me raconta des histoires extraordinaires, dignes des scénarios de Hollywood, mais aussi des histoires drôles, tristes et dramatiques à dimensions humaines et c’est la que j’ai pu prendre conscience de toute la richesse de leurs témoignages. Enfin, par son entremise j’ai pu par la suite m’entretenir avec plusieurs vétérans, dont Donatien Vaillancourt, un ancien du régiment des Fusiliers Mont-Royal ayant fait le raid de Dieppe et subit l’emprisonnement en Allemagne. C’était un homme impressionnant, tant par sa stature physique, et ce même en octogénaire bien sonné, que par les solides valeurs de soldats qui semblait toujours ancrés en lui. J’ai pu aussi rencontrer Pierre Gauthier, qui avait été membre du régiment de la Chaudière, ayant entre autres participé au débarquement de Normandie et à la libération de la Hollande. Bien que ce dernier était plutôt avare de commentaires, toujours hanté comme j’ai pu le comprendre par divers épisode traumatisant liés à ses jours de guerre, j’avais passé un moment privilégié avec cet homme et ultimement ce fut par son entremise que j’ai pu rencontrer Jacques Nadeau, le héros de mon livre Dieppe ma prison.

     Monsieur Nadeau était tout un personnage, candide, jovial, volubile et habité d’une grande gentillesse, des qualités qui évidemment transparaissent dans le récit que j’ai fait de ses expériences de guerre dans mon roman. Notre collaboration fut des plus enrichissantes et je me suis efforcé de garder contact avec lui suite à la publication de notre livre. De ce fait, quand en 2011 on lui octroya la Médaille de l’Assemblée nationale, le régiment des Fusiliers Mont-Royal, dont il avait fait partie pendant la guerre, m’invita à la cérémonie officielle de remise et je n’ai évidemment pas manqué l’occasion de renouer avec lui. Par contre j’étais loin de me douter que cet événement  allait me permettre de rencontrer une autre génération d’hommes d’exceptions, et c’est ainsi que par l’entremise de monsieur Nadeau j’étais introduit dans l’entourage des officiers de ce régiment. C’est la que j’ai pu faire la connaissance de certain d’entre eux dont le lieutenant-colonel Luc St-jean, et le lieutenant Mathieu Coté, vétérans de différentes missions dont entre autres celle de la Bosnie et de l’Afghanistan. Au cours des années j’ai pu passer du temps de qualité avec chacun d’entre eux et je peux ainsi témoigner des qualités morales et humaines de nos vétérans contemporains. J’ai eu entre autres de nombreuses conversations intéressantes avec le lieutenant Coté avec qui je partage entre autres les passions de l’entraînement et de l’histoire militaire. J’ai même eu l’opportunité de communiquer avec lui lors de sa participation à la mission de la force multinationale des observateurs du Sinaï, et ce même pendant que des tirs d’artillerie lui passait au-dessus de la tête. Pour ce qui est du lieutenant-colonel St-Jean, qui fut aussi commandant des Fusiliers Mont-Royal de 2012 à 2015, j’avais été le rencontré à son domicile, dans le cadre d’un projet de livre sur la participation des fusiliers à la Deuxième Guerre mondiale (projet toujours à l’agenda) et jamais je n’aurais pu croire qu’un officier supérieur pouvait être aussi amusant et sympathique. J’avais dès lors pu profiter des largesses de son hospitalité ou il m’avait fait connaître les délices du Pernod-Ricard,  et ce dans des grands verres, avec une évidente carence en eau, assurément due à un problème de logistique en rapport au ravitaillement.     

    Mes rencontres avec ces derniers, comme aussi avec certains soldats ayant participé aux plus récentes missions de l’armée canadienne, m’ont permis de perpétuer cet intérêt pour l’histoire militaire tout en me sensibilisant aux difficultés de leur mission et aux séquelles qui en découlent, qui sont autant physiques que morales. C’est ainsi que j’ai pu réaliser toute l’amplitude du sacrifice entrepris par ces hommes et ces femmes. Je pense que l’appréciation de leur service peut se faire sans tenir compte de considération politique et idéologique. Étant tombé, dans ma jeunesse, à même la marmite de potion anticonformiste qui m’amena à des années-lumière de la vision du politiquement correct, je peux quand même me rendre compte que la majorité des missions de l’armée canadienne ont toujours eu comme objectif de protéger les populations menacées par la guerre et le chaos. Alors même en s’efforçant de ne pas y voir là une action de bienfaisance, de peur de tomber dans ce piège de la vision idéologique, on peut tout de même dire que de se rendre faire son travail en zone de guerre, prend des couilles de béton. En ce sens les vétérans, sur cet unique aspect, demandent le respect. Alors si vous en voyez un, une poignée de main et un « merci pour votre service » pourraient assurément être appréciés, et ce même si vous n’êtes pas passionnée d’histoire militaire comme moi. Ultimement par ce simple geste vous allez au moins donner un sens au leitmotiv de la province qui se résume à ces simples mots, je me souviens.

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La Quête : Journal de guerre d’un soldat de fortune

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