La voie du ronin

Une de mes passions qui en fait est venue un peu à se définir comme une sorte de religion personnelle est celle en rapport à l’entraînement et à la pratique des arts martiaux. Dans ma lointaine jeunesse, à huit ou neuf ans, étant un enfant plutôt sédentaire et intello, mon père m’avait tout de même inscrit dans une école de karaté kyokushin pour tenter de me faire bouger un peu. Cela marcha pendant un certain temps, et j’y ai rencontré des gens extraordinaires, notamment le sensei André Gilbert, et un modèle de vertu martial qu’est Alain Bonamie. Néanmoins je suis rapidement retourné à mes crayons à dessins, mes livres et mes BD,  intello-geek que déjà j’étais. Par contre, quelques années plus tard, dans mon passage de l’adolescence, avec les hormones émergeant en moi qui amplifiai de manière exponentielle mon attirance pour la gent féminine, j’ai vite réalisé que ce n’était pas avec ma shape de gros nounours de bibliothèque que je pouvais développer une vie sexuelle active. Je me suis donc remis à l’entrainement, poids et haltère, bien sûr, mais aussi la boxe. En ce sens, ayant été confronté au secondaire au problème récurent de l’intimidation, je me suis rendu compte d’une triste réalité de notre belle et intelligente société, soit qu’il y a souvent rien de mieux qu’une bonne « tape sa yeule » pour se faire respecté. Bien qu’une rage latente me rongeait constamment l’intérieur, et que j’en étais venu à être fasciné par la voie du guerrier, je ne cherchais jamais la confrontation. Mais par la force des choses je me suis rendu compte que j’avais tout de même un certain talent quand arrivait le temps de jeter les gants.

     C’est ainsi que pendant mon premier séjour à l’université, je me suis retrouvé comme portier dans les bars, notamment dans le merveilleux monde des danseuses, et ce pour la même raison de ces dernières, soit pour payer mes études. Néanmoins l’argent rentrait bien, trop bien, et j’ai abandonné l’université pour en faire mon métier, ce qui demeurait un peu une manière de vivre par les armes comme les samurais des temps anciens. Dans l’espoir d’être dument capable de faire le travail, et ce avec une efficacité optimale, j’ai décidé de parfaire mes talents martiaux et comme si le destin avait décidé de comploter en ce sens, j’ai rencontré bon nombre de personnes qui m’ont apporté leur aide. Il y eut entre autres Kevin Adams, un boxeur professionnel, propriétaire de gym, qui améliora mes talents pugilistiques tout en m’aidant à devenir un entraîneur. De plus, un de ses combats au centre Bell m’inspira un des chapitres les plus intéressants de mon livre La Quête (page 166 et suivante). D’autres personnes me partagèrent aussi leur savoir, dont Éric Moore, un des combattants les plus naturels qu’il m’a été donné de rencontrer, mais ce fut surtout Rudy Provencher qui prit d’abord ce rôle de mentor. Mais avec mon évolution, ce rôle se transforma en celui de partenaire d’entraînement et partenaire d’affaires puisque c’est avec lui que j’ai débuté mon travail d’entraîneur, un métier que nous professons toujours vingt ans plus tard. Par contre autodidacte que je suis, c’est probablement seul par moi-même que j’ai appris le plus. Notamment en faisant le tour des gyms de Montréal et de ses environs, tout en essayant d’autres disciplines, notamment le jiu-jitsu et la lutte, poussés entre autres par cet engouement pour la UFC et les arts martiaux mixtes. Cette quête me mena aussi à m’entraîner avec des combattants mythiques, notamment un  ancien champion thaïlandais du Tri-star, qui fut pour un temps mon entraîneur privé. J’ai pu aussi rencontré des légendes, comme Trevor Berbick, ancien champion du monde ayant croisé le fer avec Mohamed Ali et Mike Tyson, ainsi que le sympathique Ducarmel Cyrius, champion du monde de kickboxing, qui prit le temps de me montrer les petits coups mesquins qui pouvaient se donner dans le dos de l’arbitre, ce qui était tout de même étonnant vue sa gentillesse. Bien que tout ce bagage accumulé au cours des années me permit bien évidemment de parfaire mon rôle d’entraîneur, autant que celui de combattant, je sentais qu’il me manquait tout de même quelque chose, un but, ou plutôt un défi à ma mesure, et c’est la que j’ai pensé à la Thaïlande.

     L’idée d’aller m’entraîner dans les réputés camps de combat de la lointaine Thaïlande m’est venue entre amis dans une de nos traditionnelles soirées UFC. Une autre de mes nombreuses et décevantes ruptures amoureuses m’avait fait exagérer l’absorption du divin houblon, et ayant en tête depuis un certain temps l’idée de quitter pour une autre aventure, c’est en regardant un combat plutôt sanglant que j’ai eu une  révélation. Le tout s’exprima dans un cri : « La Thaïlande tabarnacle! ». Certain de mes amis présents, notamment le pompier Éric, et mon combattant Cédric, habitué a certaine de mes extravagances ne purent s’empêcher de s’esclaffer sans tout de même comprendre. Néanmoins quelques jours plus tard j’avais acheté un aller simple pour la Thaïlande en plus de m’être inscrit au Lanna Muay Thaï camp, un camp de combat de Chiang Maï, une ville du sud à la frontière avec la Birmanie. L’odyssée pour me rendre dans ce pays fut pour le moins agité, notamment dans mon escale à Beijing en Chine ou une discussion avec un douanier retardé agrémenté de nos beaux jurons québécois m’avait valu d’être escorté dans la zone internationale par l’armée. Finalement, après un long voyage de trente heures et la perte de mes bagages, j’arrivais enfin à Chiang Maï. Mais ayant gardé mes gants de boxe avec moi à même mes bagages de cabines, j’ai pu aller m’entrainer à mon arrivée, après quelques heures de repos. Le camp était dans les bidonvilles, à deux pas de la jungle, et se composait de deux rings et d’une dizaine de sacs, entouré d’un petit mur de ciment sur lequel étaient fixées des barbelées avec le tout surplombé d’une large toiture de tôle ondulée. C’était dans ce qu’il y avait de plus rudimentairement martial. Toujours fringuant malgré l’épuisement du voyage, j’ai combattu dès mon arrivé et je fut étonné de la manière dont j’avais pu dominer mes adversaires sur le ring. Finalement la Thaïlande ce n’était pas si dur. Mais à mon retour au camp le lendemain on m’attendait de pied ferme et j’ai dès lors reçu des raclées mémorables de la part d’un groupe de combattant aux diverses nationalités et à juste titre dans les jours qui ont suivi mon visage à prit les couleurs de leurs différents drapeaux et ce avec un ajustement du relief de mon nez en prime. J’ai néanmoins eu des batailles mémorables notamment avec un combattant thaï qui avait près de 200 combats, et qui me servait aussi d’entraîneur. Ce fut pour moi un grand honneur, même si cet enfant de chienne avait mis des gants de huit onces au lieu de quatorze, comme il est habituellement de mise en combat d’entraînement pour éviter les blessures. Pour ce qui est de mon temps en dehors du camp, je le passais dans les vieux temples bouddhistes, à essayer de méditer, mais souvent l’épuisement était tel que je m’endormais sur place. Finalement la Thaïlande, quand tu la vivais comme les combattants c’était très dur, plus que j’aurais pu l’imaginé. Entraînement soir et matin, dans une température tropicale et humique qui quelques fois frôlait les quarante degrés. J’ai pu dès lors expérimenter toute une gamme d’émotion et de sensation  avec une intensité renouvelée. La douleur physique d’abord, présente du début à la fin, l’humilité ensuite, notamment de voir que mon talent martial, sans être médiocre, était loin d’avoir l’ampleur que je pensais. Par contre, j’ai vu que la persévérance était peut-être une de mes principaux atouts et cette aventure me permit d’accentuer autant le dépassement de soi que la connaissance de mon être. Et fort de ce nouveau bagage, je suis revenu au pays pour le partager.

    À mon retour un autre projet d’envergure allait lentement, mais irrémédiablement s’imposer à moi, soit celui de préparer des athlètes pour des combats d’arts martiaux mixtes amateurs. Le tout fut initié à la demande de mon client et ami Cédric, qui voulait tester ses talents, et ce au niveau compétitif. Élevant l’intensité d’entraînement de plusieurs crans nous avons commencé à faire les tours des galas de combat de Montréal. Après des débuts laborieux, dû à une inexpérience partagée, de combattant et d’entraîneur, nous nous sommes tous les deux ajustés et les victoires se sont mises à s’accumuler. Bien que j’ai entrainé d’autres athlètes pour la compétition, ce fut tout de même avec Cédric que j’ai vécu les moments les plus intenses de ma carrière d’entraîneur.  En fait je pense à un épisode en particulier ou une semaine avant un combat important, un de ses partenaires d’entraînement a subi un arrêt cardiaque en s’exerçant avec lui et est décédé. Le promoteur du gala qui avait été mis au courant du drame nous conseilla d’annuler le combat étant donné cette expérience traumatisante, ce que nous avons d’abord fait. Néanmoins Cédric, malgré sa peine, ne voulait pas en rester là et il m’a demandé de faire ce combat, puisque selon sa vision, c’était comme si son compagnon était mort pour rien. J’ai réussi à convaincre le promoteur et une semaine plus tard nous étions sur le ring. La pression était immense, l’angoisse aussi, cette victoire je la voulais tellement pour lui, mais ça ne dépendait plus de moi, je l’avais préparé au meilleur de mes connaissances, j’avais fait mes devoirs, il lui restait maintenant à faire le sien. Incidemment ce fut le combat le plus court et expéditif de ce dernier, avec une victoire par étranglement après un duel de moins d’une minute. Mais Cédric, loin d’être satisfait de son succès demanda le micro à l’annonceur qui semblait stupéfait et pas trop enclin à céder. Mais j’avais deviné ce qu’il voulait faire et faisant toujours dans la fine diplomatie je l’ai enlevé des mains du maître de cérémonie pour le donner à mon combattant. Cédric demanda simplement  une minute de silence pour honorer son compagnon d’entraînement, qui était pour ainsi dire mort au combat, ce que la foule fit avec respect. C’est le genre de moment d’une rare intensité qui amène a créer des liens pour la vie, et en faite j’ai pu me rendre compte que c’est par le MMA que j’ai pu développer certaine de mes amitiés les plus fortes et les plus durables. C’est par le combat qu’on apprend vraiment à se connaître, mais aussi qu’on apprend à connaître quelqu’un, dans le cas de Cédric et de quelques autres, cette relation s’est développée autant dans le respect que dans l’admiration.        

    Néanmoins, malgré  tous les effets positifs amenés par la compétition, les combats d’arts martiaux mixtes amateurs ont été interdits et ce étant entre autres en résultat d’une société matriarcale maternante et aseptisé ou la maman dominante et autoritaire veut pas que les ti-gars se battre et se fasse des bobos. Cette attitude n’est pas nécessairement surprenante surtout lorsqu’on voit qu’au niveau scolaire nos adolescents, pris au cœur même de l’explosion hormonale de leur évolution biologique, sont forcés de faire du tricot bien assis en classe au lieu d’aller faire du sport à l’extérieur. On devrait peut-être arrêter de se demander pourquoi le taux de décrochage scolaire est plus élevé chez les garçons, et ce sans parler du taux de suicide. Wake up! Le sport, la saine compétition, notamment par  les arts martiaux mixtes, est à mon humble avis un remède à bien des maux, notamment le mal-être de l’adolescence. Je me considère loin d’être un modèle à suivre, par contre je suis tout de même en ce sens, une preuve vivante des effets bienfaisants de l’entraînement martial ne serait-ce que par la guérison de cette rage de mes jeunes années qui m’est venu  par la pratique de ce sport. En faite, je dis sport, mais c’est devenu pour moi beaucoup plus. Étant athée sans aucune sorte de foi religieuse, les années passées à l’entraînement m’ont amené à découvrir une certaine spiritualité. Développant entre autres patience (c’est encore à travailler), honnêteté, persévérance et un certain pouvoir d’introspection, des qualités qui  n’auraient assurément pas ressurgi avec autant d’intensité si j’avais choisi un autre chemin. Ainsi même cette spiritualité fut acquise de manière autodidacte, trouvant ma voie à la manière des ronins, ces samurais sans maître qui dans le Japon ancien, vivait hors des cadres de la société. Mais au-delà ce côté essentiellement spirituel, lié à la morale et à l’esprit, cette pratique a eu aussi un effet impressionnant sur le corps. Je pourrais dire, sans fausse modestie, que malgré mon âge vénérable, avec toujours en moi cette attirance passionnelle pour la gent féminine, je peux toujours performer de manière optimale dans le jeu torride de la passion charnelle, comme dans les meilleurs jours de ma lointaine jeunesse. Quelle autre religion peut se vanter de procurer autant de bienfaits 😉

Recent Comments

  • le clown
    14/04/2019 - 7:59 AM · Reply

    cela été mon exelente lecture matinal et quotidienne pour ce dimanche,bien que le tricot a réchauffer nombre de petit pied et de coeur froid,les bagarres d ados aux hormones dans le plafond,n on mener j usqu a aujourd hui de suivre l exemple de la société médiaitisée …la guerre..la guerre ..ces pas une raison pou ce faire mal…

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La Quête : Journal de guerre d’un soldat de fortune

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