Une de mes passions qui touche en fait deux choses qui peuvent sembler complètement opposées est celle se rapportant à la collection de livres et d’armes anciennes. Dans les deux cas, cet intérêt me ramène à ma lointaine jeunesse, et pour ce qui est d’abord de mon amour des livres, j’ai évidemment été inspiré par les deux femmes de ma vie, ma mère et ma grand-mère, qui étaient des passionnées de lecture. Ainsi ayant à peine dix ans je lisais déjà des livres pour adultes, dont certain passablement sérieux, tel que Les médecins maudits de Bernadac, qui relatait les expériences des nazis opérés sur cobaye humain, un livre qui m’a bien évidemment marqué, allant même jusqu’à influencé certain de mes écrits et le choix de ma thèse de maîtrise. De plus, c’est à cette époque que j’ai commencé à me constituer une petite bibliothèque personnelle qui aujourd’hui a pris une ampleur pour le moins considérable. Au même moment, mon père, un passionné de la chasse, m’initia au tir avec sa vieille carabine de cowboy, ce qui bien évidemment fit naître en moi cet intérêt pour les armes. Il me donna aussi un couteau militaire ayant appartenu à son parrain, oncle Lionel, qui avait traversé en Europe en 1945 pour aller combattre Hitler (un sujet dont je parle dans La Quête). C’était une arme usée, à la lame ternie, un objet qui était tout de même passablement délabré, mais pour moi, dans ma vision infantile, je la voyais comme une relique sacrée symbolisant l’esprit guerrier à travers un héritage familial. En ce sens, le paternel fut bien évidemment tributaire de tout cet intérêt en rapports aux armes et aux artéfacts militaires.
Avec les années j’ai donc pour ainsi dire ramassé une grande diversité d’items, pas seulement des armes, mais aussi différent type d’équipements, notamment des casques, des uniformes et même de la correspondance du front datant plus particulièrement de l’époque de la Seconde Guerre mondiale. En ce sens, j’ai réussi à trouver des lettres assez incroyables, notamment une d’un soldat allemand qui témoigne du sacrifice d’un compagnon d’armes qui avait fait exploser un char russe après s’être jeté sous ses chenilles avec une mine. Une autre encore plus significative est celle d’un policier intégré à la SS annonçant à sa famille qu’il allait être transférer en Russie à sa demande puisqu’il disait ne pas aimer « les actions » de police qu’il était obligé d’effectuer en Pologne. Une manière discrète de dire qu’il ne voulait pas être impliqué dans le nettoyage ethnique des juifs en territoire occupé. Incidemment j’ai son avis de décès, découpé dans les journaux de l’époque, puisqu’il tomba au combat un mois à peine après son arrivée au front. Ses qualités morales lui ayant ainsi coûté la vie. J’ai aussi une lettre très touchante du soldat Donatien Vaillancourt des Fusiliers Mont-Royal écrite en octobre 1943 lorsqu’il était prisonnier en Allemagne. C’est un de mes items les plus précieux puisque c’est un cadeau que me fit M. Vaillancourt lorsque je l’ai interviewé en 2006. Dans la lettre, il parle à sa copine écossaise d’alors, en mentionnant les souffrances d’être un prisonnier de guerre, et les espoirs qu’il gardait néanmoins toujours en lui après quatorze mois de détention. J’ai d’autres items dont la provenance remonte à des périodes encore plus reculées, et qui me fascinent de toute autre façon, notamment par leur création pour le moins artistique. En ce sens ma pièce la plus rare reste une arquebuse japonaise achetée chez un antiquaire des Cantons de l’Est. Pour en retracé l’origine j’ai du faire des recherches qui se sont échelonnées sur plusieurs années et enfin, par les détails particulier des garnitures en laiton qui la décore, j’ai pu finalement trouvé qu’elle datait du 17e siècle en la reliant à Kunitomo Tobei Shigeyasu, un artisan forgeron de l’ouest du Japon, dont le renom a semble-t-il transcendé les âges. Bien que je serais le propriétaire de cet objet que pour une parcelle réduite de son existence, les recherches que j’ai du faire pour apprendre à la connaître, le plaisir que j’ai à la toucher, me donne une expérience idyllique avec le passé, et c’est sous cet aspect particulier que j’appréhende cette passion des armes et du militaria.
C’est dans ce même état d’esprit d’amour charnel que je collectionne aussi les vieux livres. Néanmoins, avec le développement de la lecture sur le net, j’ai pu voir bien évidemment la perte de popularité du livre en tant qu’entité physique. Par contre ce déclin eut tout de même un effet bénéfique sur les coûts, et j’ai ainsi pu faire l’acquisition de véritable trésor à prix modique; notamment un exemplaire du Paradis perdu de Milton datant du 19e siècle et illustré par l’artiste Gustave Doré; un livre centenaire sur le château écossais de Tantallon, trouvé chez un libraire de la rue Saint-Denis et même un recueil de poésie de Gilles Vigneault, notre troubadour national, datant de 1959 avec des notes manuscrites signées de sa main. De plus la vision particulière du Québec sur la religion, a amené les ouvrages sur le sujet à se vendre à des prix dérisoires, j’ai donc étonnamment dans ma collection un grand nombre de livres religieux de plus de cent ans, notamment une série en superbe état avec une reliure en cuir, et obtenu pour un prix aussi ridicule que $1.00 chacun. Ma quête de livres anciens m’a aussi amené à faire les vides greniers de France, de Paris aux Pyrénées, les librairies poussiéreuses d’Écosse et des antiquaires de certaines villes perdues d’Espagne dont les noms sont trop compliqués pour que ma mémoire les retiennent. C’est lors d’un de ces voyages, dans une petite boutique des rues étroites du vieil Édimbourg, que j’ai trouvé mon plus vieux livre. C’était un exemplaire des Contes de La Fontaine de 1774, qui était en fait bien différent de ses fables, du fait qu’il y décrivait, en maints détails croustillants, les partouzes de la noblesse. Bien que très inspirant, on était loin du maître corbeau et de son fromage. Je me suis bien évidemment débarrassé de cet objet impur et j’ai même fait un profit faramineux malgré le fait que les livres ne soient plus à la mode. Qui dit que l’on ne peut pas faire de l’argent avec ses passions, et ce même quand elle est entachée par la luxure.
Ma fascination pour toutes ces choses, me vient évidemment en partie du plaisir tactile que j’ai à toucher les vieilles reliures de cuir, à sentir le vieux papier, à m’imaginer toutes les mains qui génération après génération ont touché comme moi cet objet, que ce soit pour une recherche de connaissance ou simplement pour se divertir. Même chose pour les armes et le militaria, qui sont pour moi un point d’ancrage concret et matériel avec les guerres du passé, ce qui en tant qu’historien, amène une vision différente, moins abstraite d’appréhender le passé. En ce sens on peut facilement s’imaginer l’aura maléfique de certaine armes, par le nombre de vies qu’elles ont pu prendre, ou en voir d’autres sous une lumière bien différente, quand on se rend compte qu’elles auraient été brandies pour des idéaux plus nobles, à l’encontre de l’oppression. Mais à travers l’ensemble de ces visions, j’ai par ce contact physique avec ces objets, l’impression d’être en relation amoureuse avec l’histoire et cela demeure aussi agréable que voluptueux.